Marisol avait donc fait un très long trajet, par divers moyens de transport, jusqu’aux Etats-Unis. Son instinct l’avait guidée aux abords de la colonie des sangs-mêlés, dans la forêt. Était-ce son instinct ou était-ce son père qui l’avait guidée là sans qu’elle le sût ? Toujours était-il qu’elle était à présent dans une clairière et que c’était la première fois depuis qu’elle avait quitté Viedma qu’elle se sentait à distance raisonnable de l’assassin de Clara. C’était aussi la première fois qu’elle prenait le temps de se poser.

Pour autant, elle ne savait pas exactement où elle était dans cette forêt et aurait été bien en peine de savoir quelle direction prendre plutôt qu'une autre.

Un sentiment de calme et de sécurité (factices) l’envahissait. Ici, elle ne craignait plus de retomber aux mains du malfrat ou à celles des responsables de l’orphelinat dans lequel elle avait vécu. La forêt recelait néanmoins d’autres dangers... Dont la petite fille ne semblait pas être consciente.
Toujours était-il qu’elle avait sorti sa flûte de pan, et commencé à jouer. Et cette fois-ci, c’était pour elle-même qu’elle jouait, c’était sa manière à elle d’exprimer ce qu’elle avait sur le cœur. Ses références musicales, pour la plupart étaient issues du folklore sud-américain et dataient des années 1960-1970 car c’étaient celles de sa mère et de ses grands-parents. S’y ajoutaient les chansons des Beatles.

Elle avait commencé avec une chanson de Maria Elena Walsh, « En el pais de no me acuerdo », comme pour dire à quel point elle était perdue et éreintée. Elle ne savait pas où aller, où s’arrêter. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle ne pourrait pas éternellement aller de ville en ville, de pays en pays… Et puis, elle avait atteint la limite de ses forces. Elle disait aussi, à travers le choix d’un air mélancolique, que les épreuves qu’elle avait traversées pesaient sur ses épaules enfantines. Sans s’en rendre compte, elle faisait usage de son pouvoir pour inciter ceux qui l’entendraient à venir à son aide. Elle continua d’ailleurs avec les premières notes de la chanson « Help ! » des Beatles. Mais, elle s’interrompit.Elle était donc épuisée, son alimentation n’avait pas été des plus régulières ni des plus suffisantes par rapport à ses besoins, la pression retombait… Il y avait peut-être aussi d’autres facteurs qui entraient en ligne de compte. Toujours est-il qu'elle interrompit son interprétation musicale et tomba au sol plus qu'elle ne tenta de s'asseoir. C'était dans cette position qu'on devait la trouver...

Lorsque Melinoë la trouva, la petite fille était toujours plus ou moins consciente. Par politesse, Marisol tourna doucement la tête vers son interlocutrice quand elle l’entendit. Elle avait bien besoin de boire, elle ne pouvait le nier. Seulement…. Elle ne connaissait absolument pas la jeune chasseresse à ses côtés. Et si elle semblait bien intentionnée, néanmoins la méfiance de l’enfant envers le genre humain revint au grand galop. Et sans doute n’aurait-elle pas bu si Mëlie ne l’y avait aidée. Elle n’avait pas tout compris de ce qu’elle lui disait, mais elle en avait saisi l’essentiel.
Ce qu’elle faisait ? Cela se résumait en un mot, fuir, mais il n’était pas envisageable pour Marisol de répondre cela, du moins, pas juste comme cela… Et quand bien même elle aurait pu envisager de mentir, elle n’était pas en état de broder une histoire. Ce encore moins en anglais. Elle garda donc le silence et ne chercha pas à expliquer sa situation.
A la question qui lui fut posée sur ses parents, l’enfant commença par détourner un regard qui témoignait d’une douleur profonde. Les larmes lui montant aux yeux, l’enfant les ravala. Le moment n’était pas encore venu de se laisser aller à son chagrin. Pas en présence d’une personne dont elle ignorait tout pour l’heure.
Il y avait bien des moyens pour répondre à la question qui lui avait été posée, même de façon muette, mais… Il faudrait qu’elle soit mise en confiance pour tout simplement aborder le sujet, donner de grandes lignes d’informations à ce propos, soit faire comprendre que sa mère était morte et qu’elle n’avait jamais connu son père, disparu de la circulation avant sa naissance.

Elle ne pouvait pas non plus dire qu’elle n’avait pas besoin de manger, cela aurait été un vaste mensonge. Néanmoins, l’enfant posa un regard dubitatif qui alla de l’ambroisie à Melinoë et de Melinoë à l’ambroisie. Tout en tournant de nouveau son regard vers son interlocutrice, cette fois-ci un peu plus longuement et d’un air inquisiteur. C’est qu’elle tentait de se faire une idée à son sujet, de savoir si elle pouvait lui accorder suffisamment de confiance pour accepter de manger le mets qui lui était proposé. Et elle devait admettre qu’elle faisait face à quelqu’un qui souhaitait la rassurer, l’inciter à la confiance. Mais, la petite fille restait sur ses gardes, avec tout ce qu’elle avait vécu dernièrement, c’était plus fort qu’elle.

Elle ne s’était pas décidée au sujet de la nourriture, mais estima qu’elle pouvait faire l’effort de donner elle aussi son prénom. Alors, elle dégagea une zone de terre devant elle, attrapa une brindille dont elle se servit pour tracer son prénom au sol, en lettres bâtons afin d’être sûre que ce qu’elle avait écrit soit bien lisible :

<< MARISOL >>

Marisol écouta ce que lui disait Melinoë et acquiesça d’un signe de tête concernant son prénom : la petite fille était parfaitement consciente qu’il ne faisait pas très… anglophone. Elle s’accrocha pour suivre la suite des paroles de son interlocutrice, bien que ce ne fût pas véritablement évident pour l’enfant.

L’enfant posa un regard interrogatif sur la déesse de l’eau et de la sagesse lorsque celle-ci mentionna des enfants spéciaux, comme elle.

*Que veux-t-elle dire par là ? Qu’est-ce que j’ai de spécial ? Et qu’est-ce qui fait qu’elle dit que je ressemble à ces enfants ?* se demandait-elle, curieuse.

La petite argentine observa attentivement Mëlie consommer une partie de l’ambroisie. Partie visiblement inoffensive. Il ne fallait pas croire, Marisol connaissait ses contes de fées et avait l’épisode de la pomme dans Blanche-Neige bien présente à la mémoire… Néanmoins, poussée par la faim – et peut-être parce qu’une partie d’elle estimait être en présence d’une personne fiable – elle finit par se décider à manger. C’était…. Curieux. Mais, visiblement pas nocif. Et l’enfant put donc reconstituer ainsi une partie de ses forces. Forces qui lui permettraient un peu plus tard de faire le trajet jusqu’à la colonie.

Elle écouta ce qui lui était dit sur le camp et ce que Melinoë devinait sur ses parents.

*Comment elle peut avoir deviné ?* fut la question que l’enfant se posa en elle-même.

Et de nouveau, elle adressa un regard éloquent à son interlocutrice, avant de le détourner rapidement, le sujet étant des plus douloureux.

Obéissant au geste de son interlocutrice, elle resta non seulement muette, mais immobile. C’était encore là le meilleur moyen de ne pas faire le moindre bruit. Un instant plus tard, elle vit un drôle d’oiseau tomber au sol, visiblement mort. Elle n’en avait encore jamais vu de pareil. Mais, il lui semblait avoir lu une description qui pouvait correspondre. Seulement… Ce n’était pas possible… Ce n’était qu’un mythe… Non ?

*Qu’est-ce que c’est comme oiseau ? Ca ne peut quand même pas être l’un des oiseaux du lac stymphales des 12 travaux d’Hercule ?!*
Telle était la question qui lui trottait en tête.

Et elle montra donc l’animal du doigt, le regard interrogateur, comme pour demander des précisions à la chasseresse qui l’accompagnait.

Comme pour répondre à la question qui lui était posée, elle se leva doucement, prenant appui et se stabilisant où elle le pouvait.
Elle ne suivit pas l’intégralité de ce que lui disait Melinoë. Marisol avait bien reconnu les dieux dont il était question par contre et comprit également qu’il était temps de se mettre en route pour cet endroit avec des enfants avec qui elle avait, paraissait-il, des points communs.
Et elle emboita donc le pas de son guide, comme elle le pouvait. Après une marche, qui parut relativement longue à la petite fille (par rapport aux forces dont elle disposait). Mais, elle prit sur elle, faisant comme si de rien n’était. Enfin, elle aperçut un arbre et vit son guide s’arrêter près de l’arbre. Elle écouta attentivement ce qu’elle lui dit, se concentrant du mieux qu’elle pouvait sur cette langue qui n’était pas la sienne. Et elle avait beau la comprendre mieux qu’elle ne la parlait, elle était loin d’être à son aise avec. Mais, c’était comme si elle avait deviné que c’étaient là des choses importantes qui lui étaient dites.

*Papa ?* pensa-t-elle, lorsqu’elle entendit qu’elle découvrirait quelque chose sur un de ses parents en particulier. Après tout, c’était sur lui qu’elle en savait le moins.

*Mais, comment est-ce possible ?* se demanda-t-elle, intriguée.

Mëlie lui en disait trop… ou pas assez. Et donc, une nouvelle fois, la petite exprima toutes les questions qu’elle se posait par le regard. D’autant que là, en cet instant précis, écrire n’était pas la meilleure des solutions. Sans même penser à son niveau de grammaire et d’orthographe anglaises, les conditions n’y étaient pas propices… Par contre, si elle devait vivre en communauté, il faudrait qu’elle y remédie rapidement.

Ayant repéré l’arbre de Thalia qui l’intriguait, elle le montra du doigt à Mëlie, comme pour obtenir des informations à son sujet. Et c’était effectivement ce qu’elle souhaitait.

Marisol écouta attentivement les explications de Melinoë sur les « enfants spéciaux ».

*Alors, papa… Serait un des dieux de l’Olympe ?! Et j’aurais des pouvoirs ? Et cela veut dire que… tout ce que je sais de la mythologie gréco-romaine… Ce ne sont pas que des histoires ? Ça ne vient pas juste de l’imagination des gens ? Et toutes ces histoires viennent d’événements réels ?!* Autant de questions et de constatations qui traversèrent l’esprit de l’enfant et restèrent non formulées.

Toutes les informations qu’elle venait d’entendre étaient faites pour… la faire réfléchir.
Eh bien oui, elle avait bien identifié l’oiseau… Elle se souvenait assez des travaux d’Hercule pour se douter que ce n’était pas une rencontre des plus recommandables pour une gamine de son âge… Elle avait davantage de mal à concevoir la réalité de tout ce qu’elle prenait pour contes et légendes que le danger que pouvaient représenter certaines créatures. Toutes les informations qu’elle avait eues jusque là étaient assez… difficile à digérer et à admettre pour l’enfant.

La petite fille écouta attentivement l’histoire de Thalia, triste et belle à la fois et surtout… réelle. Puis, elle entra dans le camp, comme elle y était invitée. Ce n’était pas comme si elle savait où aller… Si ce n’était là où elle venait d’arriver… Elle verrait bien si rester là était une bonne idée ou pas, elle verrait bien si avec le temps elle réussirait à s’y sentir à son aise ou non... Et oserait-elle l’imaginer, une maison, un foyer ? Mais, en tout état de cause, cela lui ferait un « toit » pour la nuit, un lieu où se reposer et où récupérer après son long voyage. Du moins l’espérait-elle. Tout comme elle souhaitait un peu de… « calme » dans sa vie. Même si elle était bien consciente que si tout ce que lui avait raconté Mëlie était vrai, ce genre de… moments serait difficile à retrouver pour elle. Et ce quelqu’en fût le besoin qu’elle pouvait en avoir.
Elle écouta également les explications qui lui étaient données sur le camp. L’idée d’être dans un bungalow bondé ne l’enchantait guère, bien au contraire ! Elle aurait préféré se retrouver toute seule. Entre sa timidité, sa réserve et sa méfiance envers le genre humain… Elle ne s’y sentirait certainement pas à son aise. Et c’était là le moins que l’on puisse dire sur le sujet. Elle s’était d’ailleurs légèrement tendue en entendant cela, attestant de ce que l’idée ne la réjouissait guère. Cela resta néanmoins très discret. C’est que Marisol avait tout fait pour le cacher autant que possible et s’était bien gardé de s’exprimer sur le sujet.
Il n’y avait pas de raison – et elle en était consciente – pour qu’on changeât les règles pour elle… Elle n’avait donc plus qu’à espérer que son père la reconnaîtrait et n’avoir que peu de demi-frères ou sœurs dans le camp… ou qu’il n’y en que peu que leur père commun avait reconnu et allait reconnaître par la suite…
Elle observait attentivement tout ce qui l’entourait, cherchant au plus vite à se créer de nouveaux repères… Être le plus vite autonome dans ce camp afin de pouvoir limiter autant que possible les échanges indispensables…
Elle se retrouva bientôt à quelques pas de la grande maison.

Marisol avait une vague conscience d’être capable de lire le grec, mais elle ignorait être capable de le parler. Et elle ignorait également qu’il en allait de même avec les autres demi-dieux. Et elle ne l’avait toujours pas réalisé. Donc en plus de ne pas trouver cela si aisé de sortir de son mutisme, elle était effectivement convaincue que la communication risquait d’être difficile pour des questions liées aux langues que les uns et les autres maîtrisaient ou non.
S’il était nécessaire de se faire comprendre, quelque fussent la confiance qu’elle aurait du mal à accorder ou son envie de rester silencieuse, elle en trouverait certainement le moyen. Elle se doutait qu’elle ne serait pas forcément maternée et était de toute façon trop indépendante pour le souhaiter. Et puis, il lui paraissait normal de ne pas bénéficier d’un traitement de faveur. D’un signe de tête, elle voulut lui signaler qu’elle comprenait. En elle-même, elle pensait que tout ne serait pas si facile que ça.

En entendant parler de « pas de tuerie », la petite fille espéra que son interlocutrice dramatisait la situation ou faisait de l’humour, mais qu’il n’en était rien.

Effectivement, elle était épuisée malgré le fait que Mëlie lui eût donné de l’ambroisie un peu plus tôt. Et elle ne savait pas vraiment comment elle avait pu atteindre le camp et la grande maison. Pourtant, elle continuait à faire de son mieux pour tenir le temps nécessaire sans s’écrouler de fatigue.
L’enfant écouta ce que son interlocutrice lui expliqua sur la suite des événements, puis lui fit un signe de main pour la saluer. Effectivement, savoir qu’elle n’était pas loin serait rassurant pour elle dans la mesure où c’était pour l’heure la seule personne qu’elle « connaissait » un tant soit peu ici et que visiblement, toutes deux arrivaient à se comprendre quand elles avaient besoin de communiquer.
Après le départ de Melinoë, elle apprit les quelques règles indispensables, comme celle du couvre-feu et fut menée au bungalow d’Hermès. Une fois arrivée là, elle s’écroula sur un lit (qui était libre) et eut la chance de dormir d’un sommeil de plomb pendant de longues heures.